J’avais conçu ce tour l’année dernière avec un point de départ à Lézigan, petite ville entre Narbonne et Carcassonne. L’idée était de raccourcir l’étape “montante” d’une quinzaine de km en prenant un TER pendant 1/4 h. L’arrivée était fixée à Rivesaltes (non loin de Perpignan), pour un retour le lundi en fin de journée en TER à la voiture laissée proche de la gare de Narbonne.
L’envie derrière ce projet était de découvrir ce que le département nous vend comme le « pays cathare ». Je voulais aussi passer par une minuscule abbaye de sœurs cistercienne à Rieunette, un monastère perdu dans la nature. Comme c’est la fête de la Pentecôte, nous pourrions y planter notre tente, assister à l’office de 10h00 et continuer vers le Sud par Arques et son château puis, le lendemain, découvrir les réputées gorges du Galamus et les vestiges de quelques-uns des châteaux dits « cathares » les plus célèbres. Nous prévoyons de dormir en camping sauvage avec une étape pour la seconde nuit près de Bugarach.
Mais compte tenu de la grève SNCF, il a fallu abandonner le départ à Lézignan et rallonger en démarrant à vélo de Narbonne (carte en grand ici).
Lever vers 6h15 pour moi ce samedi matin. J’ai oublié de transférer ma selle Brooks de ma randonneuse sur mon VTT, je charge les vélos et les sacoches. La préparation est un peu cool ce matin. Les enfants sont de passage ce week-end ; ça discute, on se dit au revoir, etc. Evidemment, nous avons une heure de retard sur l’horaire prévu. Plus de train à prendre, plus d’heure butoir ; ça donne obligatoirement un retard. Rien ne sert de s’énerver, c’est juste comme ça...
Nous arrivons au point de départ après moins d’une heure d’autoroute et on trouve rapidement un lieu qui nous convient pour garer la voiture sans crainte, dans une zone pavillonnaire proche du “périphérique” de Narbonne, grâce à mes reconnaissances cartographiques.
Le retard est encore accentué car dès les premiers tours de roues, je me rends compte que mes vitesses ne passent pas. Bizarre. Après quelques instants de doute je comprends que j’ai mal remonté la béquille et que le câble de dérailleur AR a été coincé sous la plaque de béquille installée et serrée sous bases. Problème : la clé héxa de 8, nécessaire pour desserrer le boulon et libérer le câble, ne fait pas partie du jeu présent sur le multitool et j’ai oublié de mettre cette clé « spéciale » dans ma trousse à outils. De plus, contrairement à mon habitude, je n’ai pas chargé ma boîte à outils vélo dans la voiture « au cas où »...
Ça commence assez mal...
Qu’à cela ne tienne, je hèle le premier homme vu à un balcon en lui demandant s’il a un jeu de clés héxa. Le retraité, après une brève hésitation due à la surprise devient affable et descend rapidement de son balcon et ressort par le garage avec la clé idoine pour remettre tout ça d’aplomb. Heureusement, le câble avait été serré fortement entre la plaque et les rebords qui l’empêchent de pivoter mais n’avait pas été sectionné. L’homme insiste pour que je prenne la clé hexa avec moi, ce que je fais finalement en ayant convenu que je la lui déposerai dans sa boîte à lettres à la fin du périple. Les gens aiment bien rendre service!
Nous pouvions partir “pour de vrai”. Il était 10h20 (au lieu de 9h). Pas si grave, le temps était magnifique.
La sortie de Narbonne s’est faite par une petite route se transformant en chemin, très agréable, que j’étais assez fier d’avoir déniché sur la carte IGN (et qui m’avait amené à chercher à me garer dans ce coin). En roulant, je me rendais compte que cet itinéraire avait été balisé en itinéraire cyclable en bonne et due forme, et c’est tout guillerets que nous entamons notre randonnée en nous élevant au-dessus de Narbonne la romaine à l’abri de la circulation et dans un paysage ou alternent vignes et garrigues.
Certes, un peu plus loin il nous a été impossible d’éviter de rouler 3 ou 4 km sur une route départementale « rectifiée », des kilomètres qui m’ont conforté dans mon désir de les éviter au maximum tant les voitures roulent vite (vous avez dit limitation à 80 bientôt ?). Mais on ne va pas faire la fine bouche, à la première bifurcation nous délaissons cette route « jaune » et nous entrons alors dans le monde paisible du cyclo randonneur de mon acabit qui trace ses itinéraires sur routes « blanches ». Nous continuons de rouler dans les vignes, contents de trouver quelque relief et petits massifs forestiers pour casser la monotonie du vignoble, en choisissant le détour par Boutenac où une table bien placée par la mairie nous invite à nous arrêter pour casser la croûte.
Il faut attendre le village suivant, Férrals-les-Corbières, pour trouver un café pris en terrasse. Après ce remontant « rituel » très agréable (sauf qu’on n’a pas retrouvé la tablette de chocolat prévue pour ces occasions), nous goûtons au plaisir d’emprunter une de ces petites routes des vignes dont le bitume est souvent symbolique (il s’est même transformé en graviers sur un petit km) qui nous amène sans aucun souci le long de l’Orbieu, avec passage d’un petit gué, jusqu’à Fabrezan. Quel plaisir !
Pas de visite de ce village, l’heure tourne. Nous continuons notre route vers Lagrasse, objectif touristique de la journée. Nous voulons visiter ce village médiéval, son abbaye séculaire. Une fois de plus, la départementale bien rectifiée n’étant pas à notre goût, nous suivions les chemins de traverses, notamment entre Camplong et Ribaute. Belle surprise en traversant le pont à cet endroit où l’Orbieu s’offre à notre vue en un beau rapide. Bel endroit pour se rafraîchir si on passe ici en plein été (avec moins d’eau j’imagine). Ce fut le premier mais non le dernier des très jolis ponts anciens vus sur ces 3 jours.
L’arrivée à Lagrasse par la départementale retrouvée est très belle et donne un joli point de vue d’en haut du village et de son abbaye imposante.
Lagrasse et son abbaye |
Après un coca bu au café-librairie attenant en guise de produit dopant ou d’aide psychologique pour aborder la partie plus pentue de l’itinéraire de la journée, nous voilà sur nos vélos et quittons Lagrasse. Ce lieu nous a bien plu. L’absence de monde en ce long week-end, le centre médiéval qui ne nous a pas paru défiguré par les boutiques comme à Carcassonne, Saint Guilhem-le-Désert, ou la Couvertoirade etc. et l’abbaye (même i il faut acheter 2 billets pour tout voir) nous ont fait très bonne impression.
Après avoir suivi quelques méandres de l’Orbieu, nous bifurquons vers l’Ouest et remontons les gorges du Sou. La route en arabesque est belle et calme dans un vallon encaissé. A la sortie des gorges, le paysage s’ouvre. Nous choisissons la route blanche par Rieux-en-Val, charmant petit village que nous atteignons rapidement.
Nos bidons sont quasi vides car on a oublié de les remplir à Lagrasse. Nous repérons rapidement un robinet sur la place principale et alors que nous nous apprêtions à remplir les bidon, un homme au volant de son 4x4 nous dépasse, s’arrête puis recule. Il nous aborde pour nous prévenir que l’eau n’est pas potable, que les panneaux « eau non potable » sont commandés et arriveront la semaine prochaine. Il interpelle l’une des 3 dames en train de discuter à une dizaine de mètres « Janine, » (ou un autre nom comme celui-ci ; j’ai la mémoire qui flanche !), « tu pourrais leur remplir les bidons ; l’eau de la fontaine n’est pas potable ! ». Janine n’avait pas l’air d’y trouver grand ’chose à redire, à cette eau. Mais peu importe. Le lien avec le groupe est fait, ça discute. Catherine rentre avec ses bidons chez la dame qui lui raconte sa vie de postière (retraitée). Tout ce petit monde s’intéresse à notre randonnée : « Où allez-vous ?» « D’où venez-vous ? ». On leur explique et ils ont un peu de mal à comprendre. Ils connaissent la montée du col de Taurize qui nous sépare de notre destination et ne s’imaginent pas qu’on puisse désirer y aller avec des vélos chargés comme les nôtres. « Rieunette ? » oui, ils connaissent. Ils nous expliquent. A la Saint-Loup, le lundi de Pâques, avant que les sœurs actuelles ne reviennent en 1994 commencer à reconstruire cette abbaye abandonnée à la vie monacale depuis 250 ans, les habitants du coin avaient comme tradition d’aller sur le site pour y faire et manger une grosse omelette. Nous leur partageons notre appréciation pour leur belle région et la richesse de son patrimoine. L’une des dames nous comprend : « Vous avez vu le Pont Ancien? ». Non, nous ne l’avons pas vu. Elles nous racontent alors qu’en ce lieu devenu célèbre à cette occasion, Jean-Marais a sauté lors du tournage du « miracle des Loups » (en 1961 !). Elles évoquent avec nous ce souvenir de la journée passée au pont pour voir Jean Marais qui a marqué le village.
Evidemment, bien que déjà très en retard, nous allons faire le crochet. Le pont quasi millénaire est effectivement très beau et si nous n’avions pas une grosse étape prévue le lendemain, nous aurions bien bivouaqué là.
Nous repartons dans la lumière du soir. Au village suivant, Catherine ne retrouve plus ses lunettes (de vue), oubliées au moment de remplir les bidons. Je retourne les chercher seul à Rieux-en-Val alors que Catherine continue la montée. Les lunettes sont là où elles étaient laissées, près du robinet et les mêmes personnes toujours occupées à discuter. Ils me chambrent : « déjà de retour de Rieunette ??! ». On a bien rigolé. Quelle simplicité dans les relations ! Tout cela c’est le vélo qui le rend possible. En supprimant les barrières que constitue la carrosserie, en suscitant la curiosité voire l’admiration (pas l’envie en tous cas), ça donne des occasions de contacts.
Après une ou 2 répliques sur le ton de la plaisanterie je repars aussitôt car je sais que chargé comme je suis, Catherine ne va pas tellement moins vite que moi. Elle a pris une avance que je ne pourrai rattraper. Il lui faudra m’attendre plus haut et je ne voudrais pas qu’elle se lasse.
A Villar en Val, dernier village avant le col, je n’ai toujours pas opéré la jonction avec Catherine. Je sais déjà qu’on n’atteindra pas Rieunette ce soir et qu’il nous faudra bivouaquer, probablement près du col. Il nous faut donc faire le plein d’eau pour le bivouac. Une nouvelle fois, je recherche un robinet dans le village qui me sera indiqué par une habitante qui est passée au bon moment en voiture et qui m’indique le lavoir où je remplirai tous mes récipients : vache à eau, bidons et bouteille 1,5l. Je charge les 7 litres d’eau sur le vélo et ça se sent. Ajoutés aux 21 kg de sacoches pesés ce matin au départ de la maison + la tente de 3,3 kg, mon vélo de 17 kg ; ça fait près de 50 kg à monter sur près de 5 km avec un km à 6,6% de moyenne. 200 m après le village, je retrouve Catherine qui commençait à prendre froid. Les derniers rayons du soleil sur ce versant Est nous accompagnent quelques minutes et nous aurons un immense plaisir à faire cette montée tous les 2, à un rythme de sénateur, en nous émerveillant devant le paysage qui se découvrait au fur et à mesure de notre ascension.
Rapide photo au col, enfilade de coupe-vent pour la descente. 2 km après, la route marque un léger replat et des prairies prennent la place de la forêt. C’est le lieu idéal pour le bivouac. Demain, nous n’aurons qu’à descendre les 7 ou 8 km qui nous séparent de Rieunette. Nous avons roulé environ 75 km selon mon compteur depuis Narbonne avec du vent souvent soutenu en pleine face.
L’installation du bivouac est rodée donc rapide. Nous faisons bon usage de l’eau pour une toilette nécessaire et apprécions contempler les couleurs du couchant se fondre dans celles du crépuscule puis celles de la nuit, alors que nous dînons dans un calme enchanteur. Depuis Villar, nous n’avons vu ni entendu aucune voiture. Dans la nuit, quelques éoliennes, nombreuses entre Carcassonne et Narbonne, se manifestent par leurs clignotements rouges dans la nuit. C’est le seul signe visible de modernité. Pas un village ni même une ferme en vue. Le ciel est clair, la nuit sera reposante. Les orages que j’ai craints un moment ne viendront pas gêner notre sommeil. Cette première journée s’achève avec un bivouac de rêve. Il ne faudra pas longtemps à Catherine pour s’endormir.
Il nous en faut peu pour être heureux !
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